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Comportement alimentaire : quand la biologie dialogue avec l’émotionnel

Dans ma pratique hospitalière, j'ai souvent constaté combien la prise en charge des sujets obèses avec troubles du comportement alimentaire était difficile. Malgré les consultations pluri disciplinaires avec contrôles réguliers de suivi, l'obtention d'un résultat durable se révélait aléatoire voire exceptionnelle. D'un point de vue épidémiologique, l'obésité est une pathologie d'importance croissante à l'échelle mondiale dont les effets touchent tant à la santé physique, biologique, que mentale.

Pour quelles raisons ? Était-ce une fatalité ? Il faut partir des bases de la conduite alimentaire d’abord physiologique c’est à dire en « homéostasie », puis passer au comportement alimentaire « non homéostasique ». Donc, en fait, avoir un raisonnement endobiogénique. Ceci m’a incité à envisager dans un premier temps la nutrition et notamment le parcours du bol alimentaire dans des conditions homéostasiques où les apports correspondent aux besoins énergétiques. La distinction des concepts de base liés à l’alimentation est essentielle : la faim physiologique, par exemple, est différente de l’appétit sollicité par la vue des aliments, leur odeur, leur goût, leur caractère croustillant sollicitant les récepteurs auditifs ; de même le rassasiement en fin de repas (il n’y a plus de plaisir à manger) et la satiété (état de non-faim) faisant suite à la prise alimentaire et inhibant la prochaine, correspondant à l’intervalle entre 2 repas (Cf. chémorécepteurs au niveau de l’intestin grêle). Au fur et à mesure que progresse le bol alimentaire interviennent de nombreux acteurs : les hormones telles que la gastrine, la cholécystokinine, la leptine, et la ghréline ; le système neurovégétatif (via des chémorécepteurs transmettant par voie vagale les informations au tronc cérébral) ; ainsi que le système nerveux central : thalamus, hypothalamus et dopamine (synthétisée par les neurones de l’aire tégumentaire ventrale du mésencéphale) que les axones dirigent ensuite dans le noyau accumbens, circuit de la récompense. Les différentes hormones peptidiques sont autant de signaux vers le système nerveux central qui à son tour adaptera sa réponse, influant sur le comportement alimentaire.

Dans cet état d’homéostasie faite de boucles de rétrocontrôle, tout est harmonieux : la sécrétion hormonale déclenchée (entre autres, par le bol alimentaire), les signaux digestifs et sensoriels transmis au système nerveux central, et sa réponse en vue d’un équilibre entre molécules orexigènes (NPY*, AgRP*, ghréline…) et molécules anorexigènes (Alpha MSH, CART*, leptine…). En regard de cet état physiologique, certaines conditions non homéostasiques peuvent provoquer une dysrégulation des circuits décrits ci-dessus.

  1. Dans l’exemple d’un sujet fragile émotionnellement, trop sensible aux événements extérieurs (rôle important de la période de « maternage ») ; il est perturbé par la plus petite des agressions et cherche alors à apaiser sa sensibilité par tout ce qui peut lui servir de compensation. C’est ainsi qu’il peut rentrer dans une dépendance concernant la nourriture entre autres, afin de « compenser son vide intérieur et de se sentir plein et animé » (Blanc, Gaudriault).
  2. Autre exemple : celui de la ghréline, sécrétée par l’estomac, le duodénum et les neurones hypothalamiques. Celle-ci bloque l’hormone alpha MSH qui est anorexigène, active les neurones NPY, orexigènes ; elle stimule la faim via les odeurs et active le système de la récompense. Certains individus obèses présenteraient une hypersensibilité aux images et aux odeurs associées aux aliments soit une réactivité anormale aux signaux alimentaires.
  3. Dernier exemple, celui des périodes de stress : par l’intermédiaire des hormones glucocorticoïdes qui accentuent le besoin de plaisir dans le « circuit de la récompense » (cf. Dopamine), l’équilibre homéostasique est ainsi perturbé. Parmi les exemples décrits de ce circuit, on rapporte fréquemment une augmentation des besoins alimentaires, de boissons, de jeux, de sexe etc… Concernant l’alimentation, on comprend que l’ingestion de nourriture entre non plus dans le domaine de la faim, mais dans celui du besoin de plaisir avec addiction à celle-ci.

Cette compréhension physiologique de l’alimentation dans sa part endocrinienne, neurovégétative et neuropsychologique permet de prendre en charge le patient en étant ouvert à ses dysfonctionnements, au clair avec tous ses mécanismes, et ayant avec lui une attitude adaptée. Et s’agissant en particulier des troubles du comportement alimentaire des obèses, en écoutant mieux le « j’ai faim », « j’ai encore envie de manger », « je n’arrive pas à perdre du poids et pourtant j’essaie de faire tout ce qui m’est conseillé » etc…

L’homéostasie de base est adaptée aux besoins métaboliques dont les substrats énergétiques sont fournis par l’alimentation, en revanche, cet équilibre peut être perturbé par des signaux puissants notamment visuels, olfactifs et gustatifs. L’absence de sensation de satiété (Cf. leptine et mécanorécepteurs), le rôle des peptides orexigènes, celui de la Dopamine et son circuit de la récompense ainsi que le rôle des hormones de stress peuvent modifier le comportement alimentaire physiologique en perturbant l’équilibre homéostasique, la prise de nourriture dépassant alors les besoins physiologiques.

*NPY : neuropeptide Y

*AgRP : Agouti-related protein

*CART : peptides reliés à la cocaïne et aux amphétamines

Par le Dr Catherine BLOCH, Pédiatre

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